Humeurs

LE LAC D’AIGUEBELETTE ET SES DEUX ÎLES.(Légende)

(Légende)

Ce poème de l’Abbé Brachet, ancien curé de Novalaise décédé le 23 Mai 1903, a été présenté en 1860.
Il relate cette légende qui au delà de son aspect religieux (c’est pas forcément mon fort) pose question sur les relations humaines et l’entraide.
L’époque que nous traversons montre que si l’empathie, l’attention aux autres et toutes ces qualités « humaines » ne font plus sens alors notre civilisation est vouée à disparaître comme ce village noyé sous les eaux.

La plupart de ces légendes, de ces massages ancestraux, sont, me semble t’il a analyser non pas sous l’angle religieux mais humain tout simplement.

Par exemple, lorsque l’on dit que les Amérindiens faisaient brûler de la Sauge blanche pour chasser les mauvais esprits, ne faut t’il pas entendre « également » que brûler cette plante sèche assainissait les habitations ?

Bonne lecture et … Réflexion.

 

LE LAC D’AIGUEBELETTE
ET SES DEUX ILES
(LÉGENDE)
Dans un site enchanteur, un des lacs de Savoie
Sous les yeux des passants étincelle et déploie
Ses eaux, dont le miroir réfléchit dans son sein
Les flancs de la montagne et du coteau voisin.
On contemple, au milieu, deux îles verdoyantes
Où viennent se jouer les vagues inconstantes.
On m’a dit qu’autrefois, auprès de ces ilots
Dont l’air se rafraichit par l’éventail des flots,
S’élevaient les maisons d’un antique village,
Disparu sous les eaux dans une nuit d’orage ;
Que de riches moissons ondoyaient en été
Où s’étend ce beau lac dans sa limpidité.
Je viens de recueillir la légende locale,
Fidèle souvenir de cette nuit fatale.

I

 

La nuit tombait. Chacun regagnait le village,
Voyant à l’horizon un menaçant nuage
Où le soleil du soir se couchait lentement,
Comme un navire en feu qui sous les flots descend.
Le berger matineux rassemblait, hors d’haleine,
Ses moutons clairsemés dans les prés de la plaine;
Les enfants rappelés du milieu du chemin,
Cessant de folâtrer, se disaient : à demain.
Modestement vêtu d’une robe de bure
Où l’œil pouvait compter plus d’une déchirure,
Un vieillard, les pieds nus, aux traits majestueux,
Cheminait à pas lents dans le sentier poudreux.

L’inconnu vint frapper à la première porte
Où son pied chancelant le dirige et le porte.
C’était une maison où jamais sur le seuil
Le pauvre ne reçut un bienveillant accueil.
Ouvrez-moi, disait-il, d’une voix presque éteinte.
Aussitôt on prêta l’oreille à cette plainte.

LE PÈLERIN.

Mes pieds se sont meurtris aux cailloux du chemin.
Dieu, si vous m’assistez, n’attendra pas demain
Pour répandre sur vous ses bienfaits sans mesure.
J’ai faim, j’ai soif, ouvrez, ….. je n’ai pas de chaussure.
Je suis un voyageur de vieillesse épuisé
Et dès longtemps semblable au vieil arbre brisé.
Un vent froid de la nuit s’élève et me pénètre,
Je frissonne. …. et je vois à travers la fenêtre,
Disposés selon l’âge autour du vieux foyer,
Vos enfants qui sur moi semblent s’apitoyer.

L’AVARE.

Mais qui vient à ma porte à cette heure tardive,
M’importuner ainsi d’une voix si plaintive ?

LE PÈLERIN.

Je m’égarais déjà dans vos étroits sentiers,
Quand j’aperçus de loin vos toits hospitaliers.
Je viens au nom du Christ qui n’avait sur la terre
Pour unique oreiller que l’appui d’une pierre.

L’AVARE.

Le pauvre n’arrêta jamais ici ses pas.
Vieillard mystérieux, passez ! Je n’ouvre pas.

LE PÈLERIN.

Mais n’entendez-vous pas bruire sous la pluie
Les feuilles que le vent sur son passage essuie ?
Une petite place auprès de vos brebis
Suflira pour chauffer mes membres engourdis.

L’AVARE.

Je déteste la voix qui demande et qui pleure.
Allez ! vil mendiant, près d’une autre demeure.
Guidé par les éclairs, de maison en maison,
Le voyageur, lassé, frappant de son bâton,
Disait avec l’accent d’une touchante plainte
Je succombe….. Donnez-moi l’hospitalité sainte
Que Dieu bénit toujours, et soyez attendris
Sur un faible vieillard par l’orage surpris.
Si vous ne m’ouvrez pas, demain à votre porte
Vous me verrez gisant comme une feuille morte.
Mais je viens protéger vos récoltes, ce soir,
A l’un de vos foyers si l’on me fait asseoir.


LES HABITANTS DES MAISONS.


Vous etes ce maudit, souillant notre village,
Que Dieu dans nos sentiers poursuit de son orage.
Soulevant ses cheveux, le vieillard éconduit
Cria : Malheur ! malheur! cest leur dernière nuit.


Ces quelques mots perdus dans le bruit du feuillage
D’un soir sans lendemain étaient le sûr présage.
On entendait les vents qui sèment la frayeur,
Comme dans un écho redire aussi : Malheur !


II.


Le vieillard inconnu que la fatigue incline
Dans son dernier effort à dessein s’achemine
Vers une humble maison, sous l’ombre d’un noyer
Qu’éclairaient seulement les lueurs du foyer.
Une femnme à genoux sous ce toit solitaire,
Les yeux fixés au ciel, achevait sa aison
Afin que Dieu guidat les pas du voyageur
Et soutint sur les flots la barque du pêcheur;
Que son doigt protégeàt la cabane indigente
Aux vents impétueux toujours si chancelante.


Du pauvre sans refuge, elle entendit la voix,
Ouvrant à son appel et se signant trois fois,
A venir s’abriter, sans crainte, elle l’invite.
Aux rayons de sa lampe allumée au plus vite,
Un obscur pèlerin apparait à ses yeux,
Aidant ses pas lassés de son båton noueux;
Elle jette au foyer sa meilleure fascine
De bois mort, recueilli dans la forêt voisine.
La lamme, en jaillissant, de sa douce chaleur
Eut bientôt réchauffé le sang du voyageur.
La Veuve a déposé sur une nappe blanche
La moitié du pain bis descendu de la planche,
Un vase de lait chaud, les fruits de la saison
Et la lampe de cuivre éclairant la maison.


LE PÈLERIN.


Dieu qui sait de la mer le nom de chaque goutte,
Malgré l’ombre du soir vous contemple sans doute.
Heureux la maison où le pauvre s’assied,
Que bénit soit le seuil où s’arrête son pied.
L’aumône de la droite et que la gauche ignore
Sert plus à qui la fait qu’à celui qui l’implore.


LA VEUVE.


Je ne sais ;….. mais voyez : ma maison s’ébranlait.
Eh bien ! le vent s’apaise. Ecoutez, il se tait.
Je puis, chaque jour, grêce à ma petite aisance,
Soulager le passant qu’affliige l’indigence.
Dans mes simples repas, contente de bien peu,
Je donne avec bonheur aux pauvres du bon Dien
Le gain que je retire en filant ma quenouille.
Quand parfois je m’attriste, alors je m’agenouille
Au pied du crucifix, vous l’apercevez là,
Image du gibet où mon Dieu s’immola
Ce erucifix de bois a pour moi tant de charmes !
Je le couvre souvent de baisers et de larmes;
Ce que je goûte alors dans le fond de mon coeur,
Vous ne le croirez pas, c’est presque du bonheur.
J’ai compté cependant de longs jours de tristesse,
Quand d’une robe noire on vêtit ma jeunesse
Longtemps sur non époux mes larmes ont coulé,
Avant que de mon deuil mon coeur fut consolé.
Les yeux de mon enfant et de sa seur cadette
Me faisaient retrouver quelques instants de fête,
Quand ils venaient s’asseoir tous deux sur mes genoux,
Qu’ils m’embrassaient au front, disant : bénissez-nous.
Je souriais alors, et moi, pauvre fileuse,
J’essayais devant eux d’être un peu plus heureuse.
Mais la mort, dans sa fleur, prit mon petit garçon,
Dont la voix égayait les murs de la maison.
Je voulus de mes mains le coucher dans sa bière,
Et moi-même choisis sa place au cimetière,
Où je vais visiter, à la chute du jour,
Nos morts dans le repos de ce dernier séjour.


LE PÈLERIN.


L’enfant que vous aimiez est mort à ce jeune âge
Où l’on est aussi pur qu’un beau jour sans nuage.
Il jouit maintenant, élevé dans les cieux,
Du bonheur des élus qu’il partage avec eux.


LA VEUVE.


Les anges dans le ciel (on a de ces chimères)
Ont-ils soin des enfants aussi bien que leurs mères ?
Mais Dieu, l’ami du faible et de nos cheveux blancs,
Devait laisser l’appui de mes pas chancelants.
On ne saura jamais quelles larmes amères
Sur leurs défunts si chers versent les pauvres mères.
Et, voyez-vous, toujours sur leurs tombes les fleurs
Qu’on y sème au printemps sont plus fraiches qu’ailleurs.
Un moment suspendu dans ses fureurs,l’orage
Elevait par degré son ton de voix sauvage.
Prêtant I’oreille au bruit, la Veuve palissait,
Chaque fois que le vent par secousse passait.
« Les épis vont tomber sous les coups de la grêle;
« Les pauvres souffriront cet hiver, disait-elle.
Les éclairs déchirant le voile de la nuit
Suivaient dans les hauteurs le doigt qui les conduit.
Invitant à prier le Maitre des orages,
D’éloigner d’un coup d’oeil les sinistres nuages.
La cloche aussi mêlait les accents de sa voix
A des bruits inconnus, s’interrompant parfois.
C’étaient des cris lointains prolongés et funèbres,
Qui glaçaient d’épouvante au milieu des ténèbres.
A ces sombres clameurs, le Vieillard attentif.
Les yeux fixés au sol, courbait son front pensif.
La Veuve, en ce moment qu’un saint effroi captive,
Aux gestes du rêveur, demeurait attentive.
L’Etranger se levant, le front grave et serein,
Avec plus de lenteur reprit son entretien.
Cette nuit des tempetes enveloppe et menace
Les maisons du village où le pauvre qui passe
Ne trouve que chez vous, pour apaiser sa faim,
Le vase de lait pur et le morceau de pain.
Vainement Dieu donnait l’épaisseur de la laine
Aux moutons que nourrit l’herbe de votre plaine,
La richesse aux sillons, les ruisseaux fécondants
Qu’en été la montagne épanche de ses flancs.
Les greniers du village où règne l’abondance
Dès longtemps ne font plus la part de l’indigence.
Le Seigneur a voulu pardonner jusqu’ici,
Voici son heure : il va chatier sans merci.


LA VEUVE.


Je lève mes regards vers le Dieu de mon âme,
Sans doute, il aura soin du toit d’une humble femme.
Pour ma fille pitié; c’est mon dernier soutien ;
Dieu qui me l’a donnée autrefois, le sait bien.
Cet enfant de mon coeur vient d’entrer en ménage,
A quelques pas d’ici, là, dans le voisinage.


LE PÈLERIN.

Le pain, le lait, les fruits dont vous m’avez nourri,
Le toit couvert de chaume où je trouve un abri,
Et mes haillons séchés au foyer qui pétille
Vont sauver cette nuit et la mère et la fille.


IV.


Une lueur soudaine éclairant le plafond,
Vint du noble Vieillard illuminer le front.
Autour de ses cheveux, une auréole sainte
Fait resplendir les murs de la modeste enceinte.
Ses traits ont la beauté de l’ange protecteur
Qui sauva près d’un fleuve un jeune voyageur,
Et ses pauvres haillons qui le couvrent à peine
Se teignent de l’éclat de la plus blanche laine.
La Fileuse, en tremblant, se souvint du Thabor
Où Jésus fit l’essai de son futur essor.
Ce spectacle subit la ravit et l’étonne;
Faible comme une feuille aux derniers jours d’automne,
Elle tombe à genoux en se voilant les yeux
Eblouis par l’éclat d’un jour mystérieux.
Elle adore longtemps, le front dans la poussière,
Sans pouvoir retrouver les mots de sa prière.
L’Etranger était-il le Sauveur que cent fois
Suivait la multitude enchainée à sa voix
Et qu’auprès du tombeau réclamait Magdelaine,
L’oeil inondé de pleurs et l’âme toute en peine
Ou sous de vils haillons un ange gardien ?
De ce dernier détail on ne sut jamais rien :
La Veuve ne vit pas, en redressant la téte,
L’Inconnu recueilli du sein de la tempête;
L’éclatante blancheur des vêtements sacrés
Ne rejaillissaient plus sur les murs délabrés;
La lampe ne jetait qu’une lueur douteuse
Sur le plancher noirci de la pauvre Fileuse.
On vit pendant la nuit une croix dans les airs
Qu’en passant respectaient les livides éclairs.
On aperçut, dit-on, ce signe tutélaire
Protéger l’humble toit d’une pauvre chaumière.
C’était la sainte croix surmontant le bâton,
Dont la main du Vieillard heurta chaque maison,
A la Veuve, en partant, laissée en héritage
Pour bénir l’intérieur de son petit ménage.

V.


Les oiseaux, s’éveillant avec des cris joyeux,
Fêtaient un jour d’été limpide dans les cieux:
Quand la Fileuse ouvrit sa porte matinale
A la douce lueur de l’aube orientale
Que voit-elle ? Des flots répandus dans la plaine,
Qu’une brise adoucie avec lenteur promène;
Des flots portant des flots, même où la veille encor
Les moissons charmaient l’oeil de leurs beaux épis d’or.
Elle ne trouva plus que son humble héritage
Entouré par les eaux, et dans le voisinage,
La maison de sa fille à l’ombre des noyers,
Les ruches au midi, son rang de peupliers,
Ses champs et son verger où la chèvre inconstante,
Les soirs, en folâtrant, broutait l’herbe odorante.
De cette belle plaine aux fécondes moissons,
Retentissante hier de joveuses chansons,
On ne découvrait plus que deux riantes îles,
Qu’entouraient des flots bleus les ceintures mobiles.


VI.


Le temps a conservé ces gracieux ilots
Où dans les jours d’orage on entend des sanglots.
On songe en les voyant qu’on doit ouvrir sa porte
Au pauvre à qui Dieu donne un ange pour escorte.
On apprend à ne pas mépriser l’orphelin,
L’aveugle qui s’égare au détour du chemin;
A ne pas délaisser l’indigent sans demeure,
Sur un lit de douleur l’homme à sa dernière heure,
La veuve sans appui dans les jours de son deuil,
Et l’oiseau que la faim abat sur notre seuil.
Le simple verre d’eau qu’on donne à l’indigence,
Un jour, n’en doutons pas, aura sa récompense.
Dieu, de nos actions, témoin mystérieux,
Transfigure en trésor l’aumône dans les cieux.